DHARAMSALA (4460m)- LARKYA PASS (5160m) - BIMTHANG (3690m)
le plan de notre parcours
Dimanche 27 avril :
Il est approximativement 2h quand je me lève pour satisfaire un petit besoin naturel (faut être motivé, non ?). Je réussis à ouvrir la porte sans bruit (exploit remarquable), je reste là , sur le pas, sans avancer plus, parce qu'il neige à gros flocons et au sol, c'est tout blanc.
Wouah !
Quand je me recouche, sans faire de bruit, je me dis que cette neige va changer la donne pour ce matin: L'heure du lever et surtout celle du départ. De toutes façons, je ne sais plus à quelle heure les sherpas viennent nous réveiller, ni l'heure du p'tit dèj, ni l'heure du départ.
Il est 4h50.
Finalement, je ne sais plus à quelle heure, on s'est levés, on a pris le p'tit dèj, mais je sais à quelle heure on est partis.
On est tous là, au bout de la "bergerie 5 étoiles", la frontale en place sur la tête, bref, on est prêts !
5h: " Zam zam "
Dans le petit clair-obscur très matinal, Prajol vérifie une dernière fois la présence de ses 8 trekkeurs.
On attaque le premier raidillon qui est au bout du plateau sur lequel est implanté le camp de base. On avance tous sagement les uns derrière les autres, très concentrés, écoutant notre respiration. On sent bien que ce départ n'est pas un départ comme les autres. Le silence s'impose tout seul et, quand on communique, c'est plus pour se parler à soi-même qu'avec nos camarades. On est presque tous en "mode économique".
Pour l'instant, on progresse le long de la grande moraine latérale gauche du glacier. Il fait plus sombre ici et c'est du à la hauteur de cette moraine qui nous occulte les premières lueurs du jour naissant. Le seul repère qu'on ait vraiment, c'est la tache lumineuse du faisceau de notre frontale sur le sol qui nous permet de regarder où on pose nos pieds.
L'ambiance est différente ce matin, on est sans doute tous projetés en direction de ce col qu'on imagine là-haut quelque part.
6h15: Je tente une vidéo mais hélas, le grand froid humide recrée le petit problème que j'avais eu déjà à Sama Gaon (sans doute le moteur électrique du zoom) et qui heureusement ne dure pas. C'est un appareil que j'avais acheté à Delhi, il n'aime pas le froid, lol !
(Mon camarade Daniel a le même appareil photo, il a eu les mêmes symptômes)
On ne marchera pas longtemps avec la frontale. On est toujours dans la dépression le long de la moraine latérale gauche du glacier, mais la clarté du jour gagne du terrain. C'est comme si on était dans une petite vallée qu'on remonterait au milieu. Quand le chemin s'agrippe sur le flanc, le léger dévers engendre les premières glissades. Personnellement, je n'ai pas de problème: L'avantage des chaussures à semelles rigides, c'est qu'on peut "prendre des carres" comme à skis.
Sur notre gauche, dans le sud, les premiers rayons roses du soleil levant percent, par moment, les brumes évanescentes qui s'accrochent encore sur les très hauts sommets.
Le jour est levé maintenant, il est un peu plus de 7h et
dans le sud, c'est magnifique.
On multiplie les petites pauses pour récupérer du point de vue respiratoire et cardiaque.
| Au sud: Le Larke Peak (6249m)... |
Vers 7h30, on pourrait presque se dire que le col est là, au vu de ce qu'on a devant nous. Mais on sait que non, alors il faut avancer, encore et encore, dans cette immensité blanche parsemée d'ilots rocheux, sans entrer dans la "zone rouge", en en gardant un peu sous la semelle.
| " Non, c'est encore de l'autre côté..! " |
Combien de fois, dans cette très longue montée vers le col, aura-t-on eu cette perspective ?
On se dit, que ça pourrait être là, mais la réflexion renseignée par nos guides dit toujours non, alors que la petite voix intérieure qui n'évalue que par rapport à notre état mental et physique voudrait bien que ce soit oui...
Alors, ça repart, encore et encore.
Ce petit jeu (si on peut appeler ça un jeu !) va durer deux heures pendant lesquelles on va atteindre autant de cols que de pauses.
Le bonheur d'être là, dans cette immensité blanche inondée par le soleil, rivalise avec l'âpreté physique de l'effort. L'investissement est total, sans retenue.
Aucune autre considération ne peut être prise en compte, il faut faire impérativement un autre pas après chaque pas. Cela parait simple mais, cette succession de tronçons à parcourir, c'est comme une addition de défis physiques et intérieurs.
Combien de fois, durant ces deux heures, je me suis encouragé, botté le "derrière", traité en tous noms pour que ça avance, que ça reparte, pour que je ne m'arrête pas.
Parfois, je me souris à moi-même en me rappelant des moments identiques dans des conditions quelquefois aussi dures.
Pendant ces instants, j'entends encore mon amie Sylvie, la montagnarde, qui me disait dans les passages où on en bavait franchement: " Rappelle-moi, Jean-Charles, on a payé pour ça, non...? "
Il y a une chose très significative du niveau de la difficulté de cet effort pendant les deux heures, c'est que je n'ai pris aucune photo, ni même de vidéos.
Pourtant, je fais systématiquement des photos quand je suis "touché" par une scène, un paysage et, parfois, j'aime bien faire des vidéos quand c'est dur, que la respiration est haletante, bref, quand je souffre un peu, mais là, je ne l'ai même jamais envisagé. La limite physique a imposé cette situation.
Pourtant, "p....." que c'est beau ! , mais, "p....." que c'est dur !
Ces images, elles sont là, intimes, parfois un peu floues ou vagues, car déformées par les effets de l'effort intense. J'enregistre dans mon petit disque dur intérieur. Bien sûr, elles sont splendides, presque irréelles, fortes, à la mesure de l'investissement.
9h50 : On fait une nouvelle pause . On est au pied d'un dernier "coup de cul" qu'il va falloir "avaler" pour conclure. Mais là, c'est sûr, parce que là, c'est bon, on les voit les drapeaux et les autres trekkeurs en haut...
| La "Terre Promise" en vue !.. |
"Que c'est bon ! "
J'en pleurerais presque...
Ramès, notre jeune guide, est, à cet instant précis, à côté de moi. Depuis quelque temps, il est omniprésent auprès de chacune et chacun d'entre nous. Ils savent eux, Prajol, Karsang, Kanak et Ramès, eux qui nous connaissent depuis le début de ce trek, ils savent eux, ce que chacun et chacune d'entre nous "encaisse" en ce moment et ce qu'on est capable de faire.
A côté de moi, Ramès l'a bien senti.
Il n'a pas dit "zam zam" au moment de repartir, mais "allez Zean-Sarles ! " (C'est comme ça qu'il prononce mon prénom.)
La trace n'est pas large mais on monte d'abord l'un derrière l'autre, puis l'un à côté de l'autre alors que je le prends par l'épaule pour lui communiquer ma gratitude. Quand je lève les yeux, je vois un groupe de trekkeurs qui fait comme une "ola" là-haut, près des drapeaux multicolores. Pendant que mes yeux s'embuent avec les premières larmes d'émotion, j'entends distinctement les cris d'encouragement de nos prédécesseurs. Michel est déjà là-haut et les filles juste devant nous, sont sur le point d'arriver.
Depuis peu (mi-sept 2014), j'ai récupéré plusieurs séquences vidéo prises par deux de nos camarades (Catherine et Michel) au sommet de la Larkya.
En voici la primeur (les trois premières ont été prises par Michel):
- La première, c'est l'arrivée des guides et sherpas suivis des filles Christiane, Marie, Renée et Catherine.
- La deuxième avec Daniel, JCH et Ramès notre guide francophone.
- La troisième est consacrée à nos porteurs.
- La quatrième est l'oeuvre de Catherine, alors qu'elle savoure le fait d'être arrivée en haut du col...
Voilà ces vidéos. Elles sont le témoignage vivant de nos efforts, de nos réussites et de notre bonheur...
Je reprends mon récit, mais j'en ai une dernière à vous montrer: Elle concerne la descente, ce sera donc un peu plus loin.
Maintenant, ils ne sont plus très loin, c'est une histoire de... quelques mètres. Ils ont même fait une ligne...
9h50 : Je suis dans les bras de Ramès, ivre de joie et de bonheur, ovationné comme tous les autres arrivants, par les trekkeurs déjà arrivés. Je pleure (vous me connaissez, depuis le temps que vous lisez mon blog...). Je pleure de satisfaction, de joie, de plaisir, de fatigue. Les camarades sont là aussi, c'est l'auto-congratulation générale. Certaines ou certains pleurent aussi comme moi. Vous savez, c'est assez contagieux les larmes de bonheur, surtout quand on est très fatigués et surtout, quand on a partagé, tous ensemble, les mêmes efforts depuis le début de "l'aventure".
| A gauche de la ligne... |
| Sur la ligne... |
| A droite de la ligne... |
On reste un peu "hébétés" dans cet endroit après ces grands moments de joie collective (même avec les autres groupes). On est comme groggy après un âpre combat. Il nous faut dix bonnes minutes pour organiser l'indispensable photo de notre groupe en haut de la Larkya Pass à 5160m.
Une très sympathique néerlandaise nous propose de le faire avec...tous nos appareils. Trop top, la dame !
Et voilà !
| " And the winners are...??? " |
Maintenant, il va falloir repartir pour trois raisons:
- Premièrement, à 5200m, même si on ne fait pas grand-chose, l'organisme fatigue très vite.
- Deuxièmement, le vent thermique qui vient de la vallée, s'est levé et monte rapidement des nuages avec lui. Dans moins d'une heure, il va faire très froid, ici. Nos guides avaient programmé une arrivée à 10h maximum. On l'avait bien senti dans la montée. Ils nous ont "organisé" stratégiquement les pauses par rapport à cet objectif.
- Tertio, on a encore de la "route" à faire et en particulier une descente très difficile pour laquelle on va devoir mettre des crampons.
Eh bien, figurez-vous qu'on n'est pas au point le plus haut du col !..
En distance, il nous reste à peu près cent cinquante mètres à faire mais en dénivelé, c'est seulement quelques mètres, heureusement !
| Le haut géographique du col, c'est là-bas... |
On quittera le "vrai" col en même temps que l'arrivée des nuages annoncés par nos guides. Le vent s'est sérieusement renforcé.
Avant la descente, à trois cents mètres, on se retrouve sur une petite plate-forme rocheuse (on peut s'asseoir, on est plus à l'aise) pour chausser nos crampons. Il y fait rapidement très froid.
Avec Daniel (on est les derniers à s'équiper parce qu'il a du "renvoyer la balle" à la sympathique hollandaise avec son groupe, et je l'ai attendu. Heureusement, ils n'étaient que cinq), on commence la descente au "petit trot". On a déjà oublié notre grosse fatigue, le mental a pris le dessus.
On est accompagnés par Ramès qui n'a pas de crampons, et qui virevolte comme un cabri, sur la pente de neige glacée. C'est un peu énervant !
Là aussi, je n'ai fait ni photo, ni vidéo pendant un long moment parce que le terrain ne le permettait pas. Il m'aurait fallu une "Go-pro" parce qu'il n'aurait pas été prudent de descendre cette pente glacée sans bâtons.
En conservant la cadence du début de la descente, on finit par rattraper le reste du groupe. Presque arrivé en bas, pour éviter la progression en dévers, je choisis une option "radicale" face à la pente, les talons en avant et les jambes tendues et chose incroyable, ça passe sans casse. Mais bonjour les cuisses !!!
Comme je vous l'ai dit un peu plus haut, j'incorpore ici la vidéo de Michel sur la fin de la descente:
Michel filmant en contrebas, on n'a pas une réelle idée de la pente. Pas grave, c'était quelque chose cette descente !!!
Prudemment, notre équipe finit par arriver en bas après avoir dévalé...... 1000m de pente glacée dans un premier temps, puis de neige épaisse et molle, dans un deuxième temps.
Il est 12h26. On a mis deux heures pour descendre en utilisant toutes sortes de techniques individuelles (moi compris) sur lesquelles, sans vouloir faire de jeux de mots, je ne...m'étalerai pas !
(Notre camarade Renée nous a quand même fait une grosse frayeur, à la toute fin de la descente, en réalisant sans dommage, deux "roulé-boulé" sur la pente d'un névé, sans toucher les cailloux qui le garnissaient: lucky girl !)
| Fin de la pente neigeuse, le chemin prend le relais à droite, on est à 3990m... |
Sur la photo ci-dessus, on voit bien qu'on est au milieu d'un gigantesque paysage naturel avec d'énormes glaciers qui convergent vers un "entonnoir" géant traversé par d'énormes moraines.
On fait une pause avant d'attaquer la troisième partie de notre étape.
| Le Salpadanda Glacier... |
| Au fond, l'entonnoir naturel... |
Après, c'est un peu plus facile, même si les irrégularités du terrain nous obligent parfois à ajuster notre pas. Une nouvelle pause est proposée au bout de la moraine. Il est pratiquement 13h...
Allez, pause !
| Photo prise vers le nord-est, donc vers le glacier... |
Dans notre dos, la haute-montagne s'éloigne progressivement. On retrouve des espaces herbeux.
On a vraiment l'impression de revenir d'un ailleurs hostile et de retrouver un espace un peu plus accueillant.
Justement, à propos de vivre normalement, on n'aurait pas un peu faim, non ?
Allez, halte pique-nique, c'est largement l'heure...
On est tous installés, là, assis, attendant notre repas froid avec presque de l'impatience (c'est qu'on a faim, nous !).
En guise de pique-nique, on nous donne un " tibetan bread " et puis, c'est tout... On est, bien entendu, un peu déçus pour ne pas dire autre chose et nos guides s'en aperçoivent tout de suite. C'est vrai que "chez nous", nous avons une autre "culture" du pique-nique. Bref, c'était pas terrible donc, haro sur les barres de céréales. Seulement voilà, on n'en a plus beaucoup pour aujourd'hui.
Allez, on mangera mieux ce soir.
Quand on repart, il nous reste environ 2h30 de "route" dans un terrain de plus en plus agréable avec quand même quelques petites "reprises".
Par moment, on marche en mode automatique. A une heure de l'arrivée, avec Daniel comme "tracteur", on fait le pas de conduite à Marie-Annick. Nous sommes accompagnés par Prajol qui ferme la marche du groupe.
14h48: On voit notre deuxième "Graal" de la journée, le village de Bimthang qui est au fond de la vallée et au bout de cette impressionnante moraine.
| Au fond, le village de Bimthang (3690m)... |
A partir de maintenant (j'ai vu le village), je sais qu'on va arriver dans une petite heure, même en marchant tranquillement.
C'est vrai que j'ai envie d'arriver, mais arriver, ça veut dire aussi que c'est fini, car le franchissement de ce col était notre principal objectif. Mais je sais aussi, par expérience, qu'après la réalisation de cet objectif principal, il y a toujours autre chose si je me réfère à tous les treks précédents. Alors, pas de problème !
Dans la dernière ligne droite, alors qu'on marche sur un sol presque herbeux qui nous conduit jusqu'à l'entrée du village, on rattrape Catherine qui "déroule", elle aussi pour son arrivée.
Sur notre gauche, des lodges presque tous neufs, un groupe de tentes bien rangées, et un peu plus loin sur la droite, presque à la fin du village (tu avais encore raison Marie- Annick !), notre lodge est là.
Ramès nous oriente vers l'espace d'accueil.
Il est un peu plus de 16h.
Ce dimanche 27 avril 2014, dans ce trek du tour du Manalu, on a franchi la Larkya Pass à 5160m d'altitude et on vient d'arriver à Bimthang (3860m) après 1300m de dénivelé. On a été en action pendant 11 heures. Je crois qu'on a le droit d'être heureux et fiers de ce qu'on a réussi aujourd'hui.
le plan de notre parcours
L'accueil est très chaleureux. Dans les chambres, le confort est tel qu'on a l'impression d'être vraiment au Hilton de Cannes. On nous propose même des superbes couettes pratiquement neuves (n'est-ce pas, Michel ?). Nous n'étions plus habitués.
Pendant le "black tea" qu'on nous sert rapidement dans une salle commune, coquette et propre, on allume le poêle à bois qui trône au milieu de la pièce. Du bonheur, rien que du bonheur, ce soir !
Après un repas très convivial et pourtant sans les bières escomptées (pas d'alcool dans ce lodge), on rejoindra nos chambres, mais pas sans avoir profité une dernière fois aujourd'hui, du spectacle grandiose que cette région nous a offert.
| 19h08, vers le nord : Au milieu, le Himlung (7126m) et le Punkar Peak (6356m), à droite... |
Namasté !
NB 1: J'ai appris dans la soirée, en discutant avec Ramès, que la nuit dernière, ils avaient "dormi" à presque 50 (porteurs,sherpas et guides) dans un "barnum" sur une toile à même le sol. Nous, on avait un lit au moins !
"De quoi te plains-tu Jean-Charles ? "
NB 2: Les réflexions que j'ai faites concernant la "qualité" de l'hébergement au camp de base sont bien sûr à prendre au second degré népalais.
NB 3: On vient de changer de district: on est maintenant dans le district de Manang. Que des bons souvenirs, n'est-ce pas Daniel et Bernard P?

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